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La décision portant report de l’élection présidentielle et prorogation du mandat arrivé à expiration :Quels recours ?

mohamed brahimi Par Le 14/03/2019

L’annonce du Président Abdelaziz Bouteflika de renoncer à briguer un cinquième mandat tout en reportant l’élection présidentielle prévue le 18 avril  2019 à une date non déterminée, si elle a été imposée par des motifs politiques et par la situation pré-révolutionnaire que connaît actuellement le pays, elle a aussi suscité un débat juridique parmi les juristes notamment les spécialistes du droit électoral.

 

Le report de l’élection présidentielle décidée par le Président en exercice dont le mandat expire le 18 avril 2019  alors que plusieurs candidats ont déposé leurs dossiers de candidature auprès du Conseil constitutionnel  , et la décision de prolonger le mandat présidentiel en cours au-delà de son terme légal , sont-ils conformes à la constitution ? Et  si comme ont conclu tous les spécialistes sur la question , la réponse est non, existe-t-il un recours  contre  ces décisions ?

Si une unanimité  s’est dégagée quant  à la  non-constitutionnalité  de la décision  du report de l’élection présidentielle et de la prorogation du  mandat présidentiel en cours après son expiration , il reste à déterminer  les voies et moyens juridiques à même  de  censurer  cette décision à supposer qu’une telle éventualité puisse être envisagée .

Si la décision  du report de l’élection présidentielle  avec maintien du Président en exercice  après l’expiration de son mandat actuel a été prise et  annoncée ,  un décret présidentiel officialisant cette décision  devrait intervenir et sera publié au journal officiel . Ce décret annulera le décret  présidentiel numéro 19-08 du 17 janvier 2019 portant convocation du corps électoral. Ce décret présidentiel  peut-il être attaqué  par un recours en annulation notamment par  l’un des candidats à cette élection qui voit de fait sa candidature  devenue sans objet au motif qu’il viole des dispositions constitutionnelles et législatives et qu’il est entaché d’excès de pouvoir ?S’agissant d’un décret présidentiel pris dans le cadre des actes préparatoires à l’élection présidentielle et par conséquent  n’étant pas  un acte de gouvernement insusceptible d’un recours, , il est évident que ce décret  peut faire l’objet d’un recours  en annulation  mais  la question qui se pose est  celle relative à l’instance compétente pour statuer sur ce recours  ? Le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat ?

A ma connaissance  ni le Conseil  constitutionnel ni le Conseil d’Etat  n’ont encore statué sur de tels  recours. Il faudrait donc  faire œuvre de jurisprudence si une telle situation se présente. Concernant tout d’abord  la légalité du décret  portant report  de l’élection présidentielle , une ébauche de solution pourrait être inspiré des dispositions légales et réglementaires en vigueur qui fixent les modalités de contestations de régularité des opérations de vote relatives à l’élection présidentielle notamment les dispositions de la loi organique n° 16-10 du   25 août 2016 relative au régime électoral qui dispose dans  son article 172 ce qui suit : « Tout candidat ou son représentant dûment habilité, dans le cas d’élections présidentielles, et tout électeur, dans le cas de référendum, ont le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant mentionner leur réclamation sur le procès-verbal de dépouillement disponible dans le bureau de vote. Le Conseil constitutionnel est saisi immédiatement de cette réclamation pour l’étudier. ».Les modalités d’application de cette disposition ont été définies par le décret exécutif n° 19-55 du 30 janvier2019 dont voici les termes : 

- « Tout candidat ou son représentant, dûment mandaté, a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant mentionner ses réclamations éventuelles sur le procès-verbal de dépouillement disponible au niveau du bureau de vote ».

- « Le Conseil constitutionnel est saisi immédiatement. La saisine doit comporter les mêmes informations relatives à la réclamation contenue dans le procès-verbal de dépouillement. La réclamation peut être accompagnée de tous moyens justificatifs probants. Elle s’effectue à la diligence et aux frais de son auteur ».

Il est évident que ces dispositions  prévoient  seulement un  contrôle à posteriori   des opérations  électorales   mais cette compétence reconnue au Conseil constitutionnel  ne  peut-elle  pas être  appliquée  aux  actes préparatoires  à  l’élection présidentielle c'est-à-dire aux actes administratifs ayant pour objet d’en préciser  les modalités   notamment au décret portant convocation du corps électoral et incidemment au décret portant annulation de ce décret ? On peut en douter  et  pencher plutôt vers la compétence  classique du Conseil d’Etat  telle que prévue  l’article 901 du code de procédure civile et administrative  qui dispose  que   le Conseil d’Etat connaît en premier et dernier ressort des recours en annulation ou en appréciation de la légalité formés contre les actes administratifs émanant des autorités administratives centrales. Cette compétence du Conseil d’Etat est d’autant plus logique que le Conseil constitutionnel  n’a reçu de la loi électorale qu’une compétence de  contrôle à posteriori des opérations électorales .En outre , l’intervention du  Conseil d’Etat sera d’autant plus efficace et remplira plus sereinement son rôle de juge de l’excès de pouvoir  du fait que le nouveau  code de procédure civile et administrative  lui  reconnaît de larges attributions en matière de référé.

En l’absence de jurisprudence algérienne sur la question  ,  il n’est pas impossible que le Conseil d’Etat  algérien , s’il est saisi  d’un recours pour excès de pouvoir contre un  tel décret présidentiel  pourrait , à l’instar de son homologue français , décliner sa compétence au motif  que ce décret  constitue un acte préliminaire à l’élection présidentielle  non détachable de l’opération électorale .Si tel sera  le cas , cette compétence  sera déplacée vers le Conseil constitutionnel qui devrait prendre acte du dessaisissement du Conseil d’Etat et statuer  sur un tel recours.

Pour revenir au décret  annulant  le scrutin  présidentiel et prorogeant  le mandat actuel  du  président et aux décrets ultérieurs pris dans son sillage notamment le décret portant dissolution de la Haute instance indépendante de surveillance des élections ,il est évident qu’on se trouve devant un excès de pouvoir caractérisé du moment qu’il n’existe aucune disposition constitutionnelle ou législative qui  confère au pouvoir exécutif de décider d’un tel report ou du maintien du président en exercice à l’expiration de son mandat. Si un recours est exercé contre ce décret il ne peut aboutir qu’à son annulation pour excès de pouvoir .

Il est incontestable que le report des élections et la décision de maintenir en exercice le président sortant  est la conséquence  des évènements qui se déroulent actuellement en Algérie  et où la population qui manifeste en masse exige la non représentation de l’actuel président  à un cinquième mandat  accentué par la demande d’un changement de régime. Cette situation pré- révolutionnaire qui  jusqu’à l’heure actuelle se déroule pacifiquement sans risque pour la stabilité et la sécurité de l’Etat ne justifie nullement du point de vue légal la prolongation  du mandat présidentiel  sur simple décision du pouvoir executif.En application de l’article 110 de la Constitution  , seul  l’état de guerre avec une puissance étranger peut  justifier la prorogation  de plein droit du mandat du Président  dont le mandat  vient à expiration .  Un décret fut-il présidentiel  qui  contreviendrait à cette disposition constitutionnelle  constituerait un acte entaché d’excès  de pouvoir.

Le strict respect  des règles constitutionnelles dans cette situation , du moment que le gouvernement lui-même  considère que la poursuite du  processus électoral est  devenu impossible et que le Président en exercice ne peut plus exercer  ses fonctions  , aurait dû être soit une  démission   du chef de l’Etat  soit déclarer son état d’empêchement . Dans les deux cas de figure , il ya lieu à l’application des dispositions de l’article 102 de la Constitution  qui débouchera sur la désignation du Président du Conseil de la nation pour assumer la charge du chef de l’Etat  pour une durée maximum de 90 jours au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Mais cette démission ou l’empêchement du chef de l’Etat étant intervenu dans un contexte exceptionnel où le peuple appelle à une refondation de l’Etat et des institutions, il sera conforme à la Constitution de designer  durant la période transitoire de 90 jours  une instance exécutive composée de personnalités  choisies  selon des modalités  à  arrêter  par  les forces politiques en présence qui prendra les décisions adéquates.   

Par Maitre Mohamed BRAHIMI

Avocat à la cour